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Améliorer nos pratiques de psychothérapie

Article de la revue Hypnose & Thérapies Brèves n°73 - Mai 2024

Article écrit par le Dr Stéphane Radoykov, médecin psychiatre, paru dans la revue Hypnose & Thérapies Brèves n°73 - Mai 2024

Questionner sa pratique tous les jours

Comme la plupart d'entre nous, humains, il peut arriver que vous ne vous sentiez pas à la hauteur des défis de la vie, ou que les situations complexes de vos patients ébranlent votre confiance. Dans de telles situations, il est essentiel de remplacer le réflexe de l'abandon par une attitude de recherche constante d'amélioration, jour après jour, heure après heure, seconde après seconde. Le piège de l'expérience et de l'âge réside dans l'accumulation d'automatismes, la croyance d'avoir tout compris des êtres humains, et cela peut entraîner une perte d'efficacité sans même s'en rendre compte.

Pour s'améliorer, il est essentiel de savoir d'où l'on part. Dans une étude, des thérapeutes se sont vu demander de s'auto-évaluer en utilisant une échelle de notation de A+ à F (système américain). Deux tiers d'entre eux se sont attribués des notes A ou A+, ce qui signifie excellent, et AUCUN n'a admis se situer en-dessous de la moyenne. Mathématiquement, cela est impossible, ce qui nous amène à reconnaître qu'on devrait pouvoir se situer au-dessus, dans la moyenne, ou en-dessous de la moyenne (Sapyta et al., 2005). De plus, les évaluations concrètes semblent indiquer que les thérapeutes obtenant les meilleurs résultats concrets ne sont pas nécessairement ceux qui s'auto-évaluent comme excellents, mais plutôt ceux qui se considèrent comme moyens, voire légèrement au-dessus de la moyenne. Pourquoi? Il semblerait que ce soit parce qu'ils sont les plus motivés à remettre en question leur pratique régulièrement.

Comment peut-on s'interroger sur sa pratique?

Grâce à l'utilisation régulière du retour patient, également connu sous le nom de « Feedback-Informed Treatment » (FIT). Dans le cadre d'un essai randomisé portant sur la thérapie de couple (n=170), une amélioration significative des résultats cliniques a été observée dans le groupe ayant mis en place une surveillance systématique du feedback (FIT). Concrètement, il a été constaté qu'il y avait 2,5 fois plus de chances d'obtenir une amélioration, avec une taille d'effet de 0,26 et une valeur de p de 0,037, par rapport au groupe où les thérapeutes ne sollicitaient pas systématiquement de retour d'expérience à chaque séance (Brattland et al., 2018). En termes pratiques, ce feedback devrait au moins inclure des questions telles que : "Avançons-nous dans la bonne direction pour vous ?", "Vous sentez-vous en confiance et pensez-vous que nous discutons de ce qui est important pour vous ?", "Qu'est-ce que nous accomplissons ensemble de manière utile ? Ou non ?", etc.

L'un des auteurs qui a approfondi cette question est Scott D. Miller, psychologue. Il a développé une échelle de retour d'expérience simple et reproductible, déjà traduite en français, nommée ORS (Outcome Report Scale) et SRS (Session Report Scale) (Scott D. Miller et al., 2013). Vous pouvez trouver cette échelle sur son site web : https://store.scottdmiller.com/. Elle est accessible gratuitement et utilisable sans frais pour la version clinique papier. Cependant, il est nécessaire de payer si vous souhaitez utiliser les applications numériques.

ORS comprend quatre questions posées en début de séance, portant sur la manière dont s'est déroulée la semaine de la personne, que ce soit sur le plan individuel, professionnel, familial ou global.

SRS se compose également de quatre questions, posées en fin de séance, pour évaluer si la personne s'est sentie écoutée, respectée, si les discussions ont porté sur ce qui était important pour elle, si la méthode du thérapeute lui convenait, et si la séance lui a globalement convenu.

L'échelle se présente sous la forme d'une EVA (Échelle Visuelle Analogique) à chaque item, avec une barre horizontale de 10 cm, où la personne place un petit trait. Chaque réponse est ensuite mesurée avec un décimètre, arrondie au millimètre le plus proche, puis les quatre nombres sont additionnés pour obtenir un score sur 40 pour chaque échelle (0 = se sent au plus mal, 40 = se sent super bien).

L'objectif pour le thérapeute est de voir le score s'améliorer de séance en séance. Scott D. Miller explique que si après 7 séances, il n'y a aucune amélioration à l'échelle ORS, il y a une grande probabilité que continuer n’améliorera pas le résultat final, et qu’il faut probablement adresser les patients à quelqu’un d’autre. De même, avant cela, si après 3 ou 4 séances, il n'y a pas d'amélioration, il peut être judicieux de considérer un changement de technique ou d'approche. 

On considère généralement un score de 25/40 à l’ORS comme la limite pour un individu se sentant plutôt bien, et si la personne maintient ce score ou dépasse 25/40 pendant plusieurs séances, il pourrait être envisageable de mettre fin au traitement.

Pour ce qui est de l'autre échelle, la SRS, elle est notée de la même manière, de 0 à 40, mais les critères sont plus exigeants. Il semble que les patients soient généralement bienveillants envers leurs thérapeutes et tendent à les évaluer positivement pour ne pas les blesser peut-être. Ainsi, fixe-t-on la limite suivante : si la note est inférieure à 36/40, soit inférieure à 9/10 pour n'importe laquelle des 4 questions, il est recommandé de prendre quelques minutes pour demander des explications. On peut ainsi comprendre ce qui a fait que la personne ne s'est pas sentie écoutée ou que la séance ne lui a pas convenu. Cette démarche permet de consacrer 5 minutes pour apporter des corrections immédiates ou de s'en occuper lors de la séance suivante.

Adapter la fréquence des séances

Il est devenu courant de s'adapter comme on le peut dans la prise en charge des patients. Cependant, depuis longtemps, les psychologues recommandaient des séances hebdomadaires, voire même à plusieurs reprises par semaine. La formation en thérapie brève a également influencé l'auteur, semblant suggérer que peu de séances, espacées dans le temps, étaient suffisantes pour la plupart des patients. En réalité, cela peut être vrai pour certains patients, mais pas pour la majorité. Comment le savoir sans consulter la littérature spécialisée sur le sujet ? Une autre manière de s'améliorer consiste donc à s'intéresser aux études menées dans notre domaine et à adopter une attitude de chercheur : curiosité, ouverture d'esprit, formulation d'hypothèses, collecte de données, tirer des conclusions, prendre des décisions et agir en conséquence.

Dans une étude rétrospective portant sur plus de 21 000 patients, avec un suivi moyen de 17 ans, les auteurs n'ont pas trouvé de corrélation entre l'amélioration clinique et le nombre total de séances. Ce résultat est particulièrement intrigant, car il suggère que, en moyenne, que l'on ait suivi 5, 20 ou 100 séances, cela n'a pas d'impact significatif en moyenne, même si cela peut bien sûr jouer pour certains patients. En revanche, les auteurs ont découvert une corrélation statistiquement significative entre l'amélioration clinique et la fréquence des séances : les séances hebdomadaires ont donné de meilleurs résultats que celles plus espacées (Erekson et al., 2015).

L'auteur de cette étude a été critiqué pour le caractère rétrospectif de son travail, et la saine méfiance scientifique l'a incité à réaliser une étude prospective récemment publiée (Erekson et al., 2022). Cette étude randomisée, qui a inclus 1322 participants (totalisant 3919 séances), a comparé les effets des séances hebdomadaires à ceux des séances plus espacées. Les résultats ont montré que la psychothérapie hebdomadaire avait de meilleures chances de succès clinique et offrait également une probabilité plus élevée d'amélioration précoce. Par conséquent, ces résultats nous incitent, dans la mesure du possible, à prendre en charge de nouveaux patients, à les voir aussi fréquemment que possible en peu de temps, et ensuite, lorsque la situation s’améliore, ou en l'absence totale de progrès, à mettre fin à la thérapie et à accueillir de nouvelles personnes. C'est la fréquence et l'intensité, plutôt que la quantité de séances, qui semblent jouer un rôle clé dans l'amélioration clinique.

D'autres chercheurs ont également tenté de mesurer ces effets. Dans une méta-analyse englobant 70 études et plus de 5000 patients, à travers une analyse multivariée, il n'a pas été observé de différence significative dans les résultats cliniques en fonction du nombre total de séances. Cependant, les chercheurs ont identifié une corrélation robuste entre l'amélioration clinique et le nombre de séances par semaine (deux séances par semaine ont montré des effets plus positifs que seulement une séance par semaine) (Cuijpers et al., 2013).

De manière similaire, dans un essai randomisé portant sur 200 adultes souffrant de dépression, les participants se voyaient proposer soit une thérapie cognitivo-comportementale, soit une thérapie interpersonnelle (deux traitements recommandés pour la dépression), avec un maximum de 20 séances. Les participants étaient répartis en deux groupes, l'un suivant une séance par semaine, et l'autre deux séances par semaine. Dans ce cas également, le groupe bi-hebdomadaire a montré une amélioration significative du score de dépression, ainsi qu'un taux moindre de désistements en cours de traitement par rapport au groupe ayant suivi seulement une séance par semaine (Bruijniks et al., 2020).

Une étude randomisée récente avait pour objectif de valider les échelles ORS et SRS en psychothérapie. Les patients étaient répartis en deux groupes, l'un recevant le traitement habituel et l'autre le traitement habituel accompagné d'un retour patient systématique, appelé "PCOMS" (échelles ORS en début de séance + SRS en fin de séance). Le critère principal d'évaluation était l'échelle psychiatrique OQ-45, dont les résultats varient de 0 à 180 (Bovendeers et al., 2022).

Il est important de noter cependant que, parmi les 1933 patients inclus, répartis en deux groupes de taille similaire, dans le groupe avec feedback, 80% des patients n'ont pas terminé l'étude, tandis que dans le groupe sans feedback, seulement 25% ont abandonné en cours d'étude. La durée de suivi était fixée à 400 jours. Dans les deux groupes, le score moyen s'est amélioré, mais avec une différence positive supplémentaire en faveur du groupe ayant bénéficié du feedback. Cette différence a commencé à se manifester dès les 3 premiers mois de suivi et s'est accentuée jusqu'à la fin de l'étude (p=0,002).

L'ensemble de ces résultats est particulièrement préoccupant, en tenant compte des défis que nous rencontrons pour offrir des rendez-vous rapidement, ainsi que de la nécessité fréquente de refuser des patients ou de ne les voir que tous les mois, tous les deux mois, voire tous les trois mois, surtout dans certaines régions où l'accès aux services de psychothérapie est encore plus limité. La forte demande explique en partie la prolifération de thérapeutes autoproclamés qui ne détiennent pas de diplôme de professionnels de santé.

Supervision clinique et thérapie personnelle

Au-delà des aspects pratiques de notre travail, plusieurs conférenciers au colloque avons partagé des vignettes cliniques illustrant les défis que nous rencontrons avec nos patients, ainsi que nos propres difficultés personnelles en tant que thérapeutes. Il semblait être une idée largement acceptée que les thérapeutes devraient prioriser leur propre bien-être, ne serait-ce qu'un minimum, et qu'il était essentiel d'avoir la possibilité de contacter des collègues pour échanger sur des situations complexes.

Comme les thérapeutes aussi peuvent être pris dans des dynamiques relationnelles inconscientes, il est impératif de continuellement analyser notre propre psyché, y compris nos pensées, émotions, comportements, impulsions, désirs, et même nos sentiments de colère ou de haine, afin de les utiliser de manière constructive dans le travail avec nos patients. Par exemple, il m'est arrivé d'éprouver le désir de mettre une dame à la porte ou de quitter la pièce à plusieurs reprises. Cependant, en engageant un dialogue doux et respectueux, cela a permis de mettre en lumière sa croyance profonde selon laquelle « je ne peux compter que sur moi-même, et si on me propose de l'aide et qu'on me déçoit, c'est bien pire que de ne pas recevoir d'aide du tout ». Dans un autre cas, ma colère face à mon incapacité à aider une personne a été partagée, et cette expression de mon impuissance l'a apaisée. Quand je lui ai dit que je souhaitais partager quelque chose, cette personne a initialement cru que je voulais abandonner et mettre fin à nos recherches pour l'aider, mais en réalité, elle a été soulagée de savoir que je ne lui en voulais pas de ne pas être capable de la soulager. En tant que thérapeute, il était essentiel pour moi de me rappeler avant les séances avec elle : « Tu n'as pas à garantir un résultat, reste calme et fais de ton mieux, évite le piège du syndrome du sauveur ! ».

En tant qu'enseignant et formateur, j'ai commis une erreur en ne parvenant pas à gérer une situation et en excluant deux étudiants. J'ai réalisé que cela avait été une erreur dans la dynamique de groupe, car il existe de nombreuses façons de gérer le conflit et l'impuissance sans recourir au rejet. Dans certaines situations cliniques, il m'arrive de ressentir de la peur sans raison apparente, même lorsque le patient ne présente pas de comportement violent a priori. Interroger ces réactions internes permet presque toujours de faire émerger des éléments pertinents pour la relation. Cependant, il est important de rappeler que notre rôle n'est pas de demander aux patients de nous rassurer quant à nos propres névroses, sinon il faudrait leur rembourser une partie des soins.

Je vous encourage donc à observer si vous ressentez par moments une sorte de fureur de soigner ou d'enseigner à tout prix, ou si vous vous identifiez comme une victime en pensant par exemple : « Oh, ce patient n'aurait pas dû me faire ça ! ». Rappelez-vous que ces réactions sont liées à leurs problèmes relationnels, sinon ils ne rechercheraient pas notre aide. Notre rôle n'est pas d'incarner les rôles de bourreau, de victime ou de sauveur, mais plutôt d'accompagner nos patients sur leur chemin de développement et d’évolution.

Je conclurai en abordant un point plutôt gênant, mais qui cesse de l'être une fois reconnu et traité : un désir sexuel inapproprié ressenti envers une patiente. Une supervision entre collègues a permis d'identifier la dynamique relationnelle inconsciente à l'œuvre : son vide relationnel et affectif créait un "appel" à combler ce vide, et je me suis inconsciemment trouvé dans une posture de sauveur, cherchant à remplir ce vide. L'autotraitement a consisté en une répétition consciente de nombreuses fois de la phrase : « Son vide est un vide affectif. Le sexe est destiné à la reproduction, ce n'est pas le sujet ici. Fais preuve d'empathie envers sa tristesse plutôt ! ». J'ai répété intérieurement cette phrase des dizaines de fois, jusqu'à ce que le désir disparaisse. À ce moment-là, l'empathie a été dirigée vers la tristesse de la personne, car il était dommage de la voir piégée dans des relations toxiques où elle était « utilisée » comme un objet sexuel, tandis que son vide continuait de s’approfondir. La séance suivante a été parmi les plus bénéfiques que nous ayons eues, et nous avons pu maintenir le suivi pendant des années, ce qui a permis à la personne de progresser en partie grâce à notre exploration du vide qu'elle portait en elle.

Voici donc quelques pistes de réflexion pour vos considérations quotidiennes et hebdomadaires lors de vos interactions avec les patients :

1. Cherchez à identifier vos dynamiques relationnelles inconscientes avec les patients, telles que le sauveur, le bourreau, la victime, ou l'identification en miroir.
2. Diminuez votre désir de sauver votre propre famille.
3. Acceptez la dualité présente en chacun de nous (vie et mort, amour et haine, sécurité et nouveauté, etc.).
4. Accueillez et reconnaissez les différentes facettes de votre propre être, car nous avons tous plusieurs aspects en nous.
5. Affrontez progressivement vos propres peurs les plus profondes.
6. Apprenez à mieux connaître et à respecter vos propres limites, car en tant que professionnels, nous sommes avant tout des êtres humains.

En conclusion, luttons contre les ténèbres et la violence en commençant par faire le travail sur nous-mêmes, tout en respectant nos propres limites.

Bibliographie

  • Bovendeerd et al., Enhancing the effect of psychotherapy through systematic client feedback in outpatient mental healthcare: A cluster randomized trial. Psychother Res. 2022 Jul;32(6):710-722
  • Brattland et al., The effects of routine outcome monitoring (ROM) on therapy outcomes in the course of an implementation process: A randomized clinical trial. J Couns Psychol. 2018 Oct;65(5):641-652.
  • Bruijniks et al., The effects of once versus twice-weekly sessions on psychotherapy outcomes in depressed patients. Br J Psychiatry. 2020 Apr;216(4):222-230.
  • Cuijpers et al., How much psychotherapy is needed to treat depression? A metaregression analysis. J Affect Disord. 2013 Jul;149(1-3):1-13.
  • Erekson et al., The relationship between session frequency and psychotherapy outcome in a naturalistic setting. J Consult Clin Psychol. 2015 Dec;83(6):1097-107
  • Erekson et al., Psychotherapy session frequency: A naturalistic examination in a university counseling center. J Couns Psychol. 2022 Jul;69(4):531-540.
  • Miller  et al., The outcome of psychotherapy: yesterday, today, and tomorrow. Psychotherapy (Chic). 2013 Mar;50(1):88-97.
  • Sapyta et al., Feedback to clinicians: theory, research, and practice. J Clin Psychol. 2005 Feb;61(2):145-53.

Article de la revue Hypnose & Thérapies Brèves n°73 - Mai 2024

La Revue Hypnose & Thérapies Brèves, partenaire de l'Institut Emergences.