Nouveautés de l’hypnose en psychiatrie
La revue Hypnose et Thérapie Brève(n°70 de août, septembre, octobre 2023) a publié un article des Drs Claude Virot et Stéphane Radoykov pour présenter les nouveautés de l'hypnose en psychiatrie.
Auteurs:
- Stéphane Radoykov : Médecin psychiatre. Praticien contractuel hospitalier (hôpital Cochin, site Tarnier), Remplaçant libéral à Paris, Formateur et Directeur adjoint de l’Institut Emergences.
- Claude Virot : Médecin psychiatre, Praticien libéral, Formateur & Directeur de l’institut Emergences. Ancien Président de l’International Society of Hypnosis
" Dans l’histoire de la psychiatrie, l’hypnose et les suggestions ont eu une place centrale, en tant que fondement de la plupart des méthodes de psychothérapie. Aider les humains à mieux accepter la condition humaine, les fragilités, les possibilités, les capacités artistiques, est un enjeu majeur pour l’équilibre psychique.
Les trois dernières années ont été instables sur le plan épidémiologique, personnel, familial, sociétal, politique, mais aussi mondial. Les citoyens ont d’autant plus besoin de stabilité et de ressources pour traverser les différentes tempêtes, y compris les sous-effectifs de soignants et l’instabilité économique actuelle.
Nos valeurs humanistes continuent à nous porter pour maintenir la lumière de la bougie, et nous aimerions partager cette bougie avec vous sous la forme d’une mise à jour des connaissances et de la pratique de l’hypnose pour la santé mentale.
Evolution récente du monde de l’hypnose en France
Depuis les années 1980, tout professionnel de santé peut savoir que l’hypnose est une pratique thérapeutique qui a fait partie de l’histoire de la médecine. S’il-elle s’intéresse un peu plus à cette histoire, il-elle apprend aussi que l’introduction de soins basés sur « l’imagination », appellation historique de la conscience, remonte à … deux siècles! Deux cent années pendant lesquelles ce processus thérapeutique qui prendra le nom d’hypnose va permettre de soigner des patients atteints de troubles psychiques reconnus. Même si l’hypnose, ou plutôt la connaissance de la conscience, sa place dans les symptômes et plus encore sa place dans la résolution des troubles, reste floue, parcellaire, les experts des sciences psychiques naissantes vont l’intégrer sous différentes formes à l’heure des débuts des psychothérapies.
Pourtant, à l’aube du 20ème siècle, les sciences, et en particulier les sciences médicales vont être profondément influencées par les conceptions radicales du Positivisme qui exige d’exclure toute pratique dont les preuves matérielles sont insuffisantes. Si l’intention était louable, elle excluait aussi toutes les références à l’hypnose qui, pourtant efficace pour les patients, résistait à l’étude scientifique, comme l’atteste d’ailleurs l’échec de Charcot tentant d’intégrer l’hypnose à la neurologie. Au delà de l’hypnose, ce sont toutes les thérapies basées sur les ressources de la conscience qui vont être plus ou moins mises à l’écart, de la même manière que les hôpitaux psychiatriques sont mis à l’écart des autres établissements hospitaliers. Cela a entraîné la disqualification de l’importance de la relation inter-humaine dans les soins et à plus ou moins long terme a vu se développer une médecine déshumanisée. Une médecine dont tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dénoncer un appauvrissement dont toutes les parties souffrent : les patients en premier lieu bien sûr, mais aussi les soignants qui ont le sentiment d’avoir perdu leur fonction humaniste naturelle. Et ceci concerne tout autant la médecine corporelle que psychique.
C’est sur ce terrain déjà dégradé dans les années 1980 qu’un souffle nouveau réanime la place de l’hypnose. Ce souffle nous vient des États-Unis, personnifié par le Dr Milton Erickson, psychiatre. Depuis les années 30, il a développé une nouvelle forme d’hypnose dont une des caractéristiques majeures est d’être suffisamment souple pour s’adapter à chaque patient, ici et maintenant, quels que soit son parcours, ses symptômes, ses croyances. Mais cette personnalisation suppose aussi que le soignant se réinvente sans cesse pour atteindre cet objectif, qu’il fasse preuve dans chacun de ses échanges de souplesse et de créativité pour réussir à établir à chaque fois si possible, une interaction dans laquelle le patient se reconnaît. Un monde thérapeutique individualisé bien loin de la philosophie positiviste qui exigeait de l’uniformisation.
C’est dans cette dimension profondément humaniste que depuis près de 40 ans l’hypnose a pu se développer dans tous les secteurs de la santé. Il est apparu évident que tout être humain en souffrance vit une perturbation dans sa dimension la plus fondamentale : sa conscience. En s’appuyant sur cette conscience et ses ressources d’adaptation aux événements de la vie, ses ressources de changement, ses ressources pour relier passé, présent et futur, ses ressources pour harmoniser les fonctionnement corporel, il devient possible de réaliser des soins plus simples, plus efficaces et plus chaleureux.
La vitalité de ce mouvement se traduit au quotidien par le développement des instituts pour professionnels de santé regroupés dans la Confédération Francophone d’Hypnose et de Thérapies Brèves passée d’une dizaine de membres il y a 20 ans à près de 40 aujourd’hui. Nous avons observé la multiplication des formations dans ces mêmes instituts mais aussi, dans une multitude d’établissements de santé, dans les services pour patients douloureux, pour patients âgés, les maternités, les services de rééducation… Partout et toujours les mêmes constats : des soins plus faciles, des patients qui se sentent reconnus et des soignants revivifiés. Il suffit de les rencontrer sur leurs lieux de travail ou dans les congrès pour le vérifier. Ce qui pourrait s’illustrer par cette remarque d’un journaliste du Figaro lors du Forum de la CFHTB à St Malo en 2005 : « je ne sais pas ce qui se passe ici! Je vais dans des congrès médicaux depuis plus de 20 ans où je vois des médecins, des professionnels de santé qui ont l’air de s’ennuyer, qui sont un peu gris. Ici, on dirait que tout le monde à l’air content d’être là et encore plus curieux, tous les participants sont présents dans les conférences et s’impliquent dans les ateliers ».
Et pourtant, dans le même temps, un phénomène étrange s’est installé. Nous l’avons dit, Erickson était psychiatre. Naturellement, lors des premières formations, les psychiatres étaient présents en nombre. Puis, de moins en moins. Contrairement à l’ensemble de la médecine, les services, soignants et congrès de psychiatrie ont peu intégré l’hypnose. C’est un constat partagé par l’ensemble des acteurs des centres de formation, un peu comme si l’hypnose, qui était au coeur des pratiques thérapeutiques dans les soins psychiques, en allant s’implanter dans la médecine en général avait quitté sa maison d’origine.
Mais l’hypnose a-t-elle vraiment quitté le monde de la psychiatrie? Non, mais elle est devenue plus discrète. C’est ainsi qu’il a été facile de réunir des psychiatres qui viendront présenter leur activité lors de ce colloque et que nous présenterons ci-dessous. Des médecins psychiatres qui offrent des soins basés sur la pratique hypnotique à des patients présentant des troubles particulièrement lourds et complexes. Des médecins motivés pour que le souffle apporté par l’hypnose puisse bénéficier à tous les patients, non seulement dans les services et les cabinets spécialisés en psychiatrie, mais chez chaque médecin généraliste, chaque psychologue, chaque infirmier(e), chaque réanimateur, chaque sage-femme, chaque kinésithérapeute, chaque chirurgien-dentiste… puisque tous les professionnels de santé ont à s’occuper de patients dont les fonctions de la conscience sont perturbées.
Intégration massive dans les soins grâce à la recherche clinique
L’intégration de l’hypnose dans les soins ambulatoires et hospitaliers s’est faite de manière accélérée ces dix dernières années grâce aux études randomisées contrôlées de bonne qualité dans le traitement de l’anxiété et la douleur aiguës (INSERM, 2015). De plus en plus d’équipes réalisent des études pertinentes. Par exemple, Zemmoura et al. (2016) ont publié une série de 37 patients ayant subi une chirurgie du cerveau pour des gliomes avec l’aide de l’hypnosédation. Dans le champ de la douleur chronique, les résultats récents indiquent parfois une diminution de l’intensité de la douleur, ou parfois une absence d’efficacité de l’hypnose sur l’intensité de la douleur, mais toujours une amélioration significative de la qualité de vie (Jensen et al., 2020; Bicego et al., 2021; Etienne et al., 2021; Soriano et al., 2021, Williams et al., 2022).
Dans le même laps de temps, le champ de la psychiatrie a été beaucoup plus lent à générer des études comparatives de qualité dans l’utilisation de l'hypnose, se reposant toujours sur les deux cents ans d’histoire passée, et sur les centaines de cas cliniques publiés. Il a fallu attendre 2018 pour qu'une équipe asiatique travaille sur la comparaison entre une prise en charge habituelle (« usual care ») comparée à l’hypnothérapie dans des situations psychiatriques courantes (Chiu et al., 2018). Depuis, quelques rares autres études randomisées sont sorties et nous vous les présenterons au colloque Hypnose et Psychiatrie de septembre 2023.
Malgré la difficulté conceptuelle à faire des protocoles standardisés de recherche en psychiatrie et particulièrement dans l’hypnothérapie, il nous semble primordial de trouver un jour les financements nécessaires pour porter des projets de qualité, correctement réalisés, et de les publier pour améliorer les connaissances dans le domaine. Le résultat serait de mieux délimiter le champ des indications, les modalités pratiques pour le faire, et quand aussi ne pas l’utiliser. A titre d’exemple, pendant de nombreuses années, des spécialistes du domaine débattaient de l’utilité ou non de la technique de catalepsie sur la transe hypnotique. Au congrès Hypnose & Douleur de 2022 à Saint-Malo, grâce aux volontaires qui y ont participé, nous avons pu réaliser une étude randomisée sur la transe avec ou sans catalepsie, pour laquelle les résultats, intéressants, sont en cours de rédaction scientifique (grâce au travail phénoménal des Drs Emmanuel Boselli et Xavier Paqueron).
Quelques cas cliniques récents
- Un patient déambule dans les couloirs, sollicite beaucoup les soignants, demande des nouvelles de l’évolution de son état. Il n’a pas besoin de psychiatrie, « officiellement », puisqu’on ne m’a pas appelé pour le voir, cependant son angoisse est importante et commence à agacer les collègues urgentistes. Un moment suspendu dans le temps s’installe dans le couloir, « Monsieur, regardez-moi. Vous êtes tendu, stressé, et attendez des nouvelles, c’est ça? ». Le gentleman n’attendait que cela, de l’attention humaine et une présence. Rapidement, une conversation hypnotique l’emmène vers « Comment faites-vous habituellement pour vous détendre », qui en quelques minutes ramène le patient vers la patience, la tranquillité, et le confort en attendant le résultat de ses examens.
- A peine terminé, un appel des collègues chirurgiens évoque un comportement suicidaire d’un patient schizophrène. En réalité, ses menaces suicidaires étaient provoquées par trois jours d’attente de passage au bloc opératoire, à jeun. L’accumulation de stress et d’informations contradictoires peuvent déclencher une crise émotionnelle parfois violente chez les patients psychiatriques fragiles. Un simple « fermez les yeux un instant et concentrez-vous sur le dernier moment de détente dont vous vous souvenez » lui a évoqué des vacances en Bretagne avec son seul ami. Chez ce patient, le fait que je le connaissais déjà de notre service de psychiatrie a beaucoup facilité l’interaction.
- Une femme de 35 ans, professionnelle de santé compétente, présente depuis plusieurs mois des angoisses majeures avec appel aux services d’urgence. Elle a toujours été très angoissée et « sauvage » ne se laissant jamais approcher émotionnellement ni physiquement. Elle attribue l’amplification des symptômes a une relation amoureuse depuis un an avec une femme. Elle décrit immédiatement un traumatisme lors de l’hospitalisation en psychiatrie de sa mère à l’âge de 6 ans. Sa mère en est revenue mais a toujours été très malade depuis et sa fille de 6 ans a du assumer ses fonctions auprès des enfants plus jeunes. Une séance de changement d’image traumatique à un effet immédiat d’apaisement des angoisses mais elle décrit aussi des phases de profonde tristesse associées à une sensation d’étouffement par « quelques chose dans la gorge ». Lors de la réification en hypnose, un liquide épais et noir s’écoule et se transforme en chaleur lumineuse « comme du soleil » dans tout le haut de son corps. Même si elle reste prudente, elle confirme depuis son engagement et sa confiance dans la relation amoureuse.
- Un autre patient consulte pour claustrophobie et impossibilité de faire une IRM. Ancien cadre dans l’industrie, il aurait été habitué à prendre sans problème l’avion ou les autres transports, mais ne supporte pas du tout l’IRM, qu'il assimile à « un cercueil ». Il relie ce problème à une crise d’angoisse survenue lorsqu’il visitait une tombe en Egypte. Il pense ne pas être très « hypnotisable », et souhaite des techniques cognitives et comportementales. Cependant, pour le moment, il n’arrive pas à s’approcher de l’IRM qu’il fuit dès qu’il approche la machine et n’arrive pas à reprendre une date pour l'examen. Après deux séances: une séance de lieu de sécurité et une séance de visualisation d’un futur où il a dépassé le problème, il dit que « ma femme trouve que je vais mieux. C’est vrai que j’ai pris le métro un jour de grève des transports et de manifestations contre la réforme des retraites, ce que je n’aurais pas fait il y a quelques semaines encore ».
Présentation du colloque psy et de ses intervenants
L’objectif de ce colloque est de montrer comment l’hypnose s’intègre naturellement à tous les dispositifs thérapeutiques et à toutes les formes de troubles psychiques, quel que soit l’âge. Il comporte quatre dimensions complémentaires : les soins hospitaliers, les soins en cabinet libéral, les données scientifiques et un débat final avec tous les intervenants et le public.
Quatre intervenants présenteront les soins en psychiatrie hospitalière. Si hypnose et psychose ont souvent été considérés comme incompatibles, le Dr Juliette Grémion nous exposera sa pratique d’activation de conscience avec les patients schizophrènes à l’hôpital de Villejuif. Le Dr Philippe Aïm nous parlera des soins sous contrainte (bipolarité, psychose) alors que le Dr Adrian Vesa nous présentera son activité quotidienne avec des patients en hospitalisation libre au centre hospitalier de Rodez. Enfin le Dr Emmanuel Malphettes du CHU de Nantes et secrétaire de l’Arepta, abordera la question de l’intégration de l’ensemble de l’équipe soignante dans le processus de soin.
Quatre intervenants interviendront pour les soins en pratique libérale. Le Dr Bruno Dubos (Rennes - Emergences) présentera les stratégies hypnotiques essentielles pour les troubles des conduites alimentaires alliant troubles corporels et troubles relationnels. Le Dr Léonard Amétépé (Toulouse - IMHETO) nous parlera de l’intérêt d’utiliser les processus de dissociation en hypnose dans le cadre des Etats de Stress Post-Traumatiques de l’adulte. De son coté, le Dr Eric Bardot, pédopsychiatre (Nantes - Miméthys), soigne des enfants malheureusement victimes aussi de traumatismes… Je présenterai de mon coté les stratégies hypnotiques pour les patients présentant des dépressions sévères, stratégies différentes selon que la dépression est aiguë ou chronique.
Auparavant, le Dr Stéphane Radoykov (Hôpital Cochin à Paris et Emergences Rennes) nous aura présenté le contexte scientifique, les études récentes réalisées en psychiatrie ainsi que les limites de la recherche actuelle. Le Dr Juliette Gueguen, médecin de santé publique et psychothérapeute (Erquy) a dirigé le dossier de l’Inserm en 2015 « Évaluation de la pratique de l’Hypnose ». Il lui reviendra de faire un première synthèse des exposés de la journée et d’introduire le débat qui explorera les pistes visant à dynamiser la pratique de l’hypnose partout où elle peut rendre service à des patients en souffrance.
Ce colloque, « L’hypnose en psychiatrie », est un pari. Le pari que l’hypnose est un outil qui ouvrira de nouvelles portes thérapeutiques aux patients et aux soignants. Au-delà, le pari également que cette humanisation dont il a été question ici participera à éloigner de nos services de santé le mal insidieux de la souffrance au travail.
Nous espérons que ce colloque bénéficiera du Haut Patronage du Ministre de la Santé, et peut-être même de sa présence, lui qui est si concerné par l’amélioration de la situation de la psychiatrie et de manière plus large, par l’humanisme dans tout acte de soin.
Bibliographie
-
Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose. Expertise scientifique réalisée par l’unité Inserm U1178 à la demande du Ministère de la Santé (Direction Générale de la Santé). Juin 2015
-
Bicego A, Monseur J, Collinet A, Donneau AF, Fontaine R, Libbrecht D, Malaise N, Nyssen AS, Raaf M, Rousseaux F, Salamun I, Staquet C, Teuwis S, Tomasella M, Faymonville ME, Vanhaudenhuyse A. Complementary treatment comparison for chronic pain management: A randomized longitudinal study. PLoS One. 2021 Aug 6;16(8):e0256001. doi: 10.1371/journal.pone.0256001. PMID: 34358272; PMCID: PMC8345881.
-
Chiu L, Lee HW, Lam WK. THE EFFECTIVENESS OF HYPNOTHERAPY IN THE TREATMENT OF CHINESE PSYCHIATRIC PATIENTS. Int J Clin Exp Hypn. 2018 Jul-Sep;66(3):315-330. doi: 10.1080/00207144.2018.1461472. PMID: 29856286.
-
Etienne R, Laurent M, Henry A, Bioy A, Salleron J, Schohn CH, Cretineau N. Interest of a standardized hypnotic message for the reduction of pain and anxiety in cancer patients treated by capsaicin patch for neuropathic pain: a randomized controlled trial. BMC Complement Med Ther. 2021 May 27;21(1):154. doi: 10.1186/s12906-021-03329-8. PMID: 34044838; PMCID: PMC8161949.
-
Williams RM, Day MA, Ehde DM, Turner AP, Ciol MA, Gertz KJ, Patterson D, Hakimian S, Suri P, Jensen MP. Effects of hypnosis vs mindfulness meditation vs education on chronic pain intensity and secondary outcomes in veterans: a randomized clinical trial. Pain. 2022 Oct 1;163(10):1905-1918. doi: 10.1097/j.pain.0000000000002586. Epub 2022 Jan 25. PMID: 35082248.